Mieux articuler la coordination entre ville, hôpital et intervenants à domicile : enjeux, obstacles et solutions concrètes

14/07/2025

Les intervenants à domicile : un maillon central mais sous-valorisé du parcours de soins

En Champagne-Ardenne, comme partout en France, plus de 2 millions de personnes âgées sont accompagnées quotidiennement par des professionnels du domicile (DREES, 2023). Leur action permet d’éviter ou de raccourcir les séjours hospitaliers, de prévenir l’isolement, l’épuisement des aidants, et de réduire le recours aux urgences. Pourtant, ces acteurs restent insuffisamment intégrés dans les dispositifs de coordination, notamment lors des passages de relais entre ville et hôpital.

  • Manque d’information sur l’offre locale : difficultés pour les acteurs hospitaliers à connaître en temps réel les capacités d’intervention des SAAD, SSIAD ou professionnels libéraux présents à proximité du domicile du patient.
  • Morcellement des informations : les transmissions se font encore souvent par téléphone, fax, voire courrier, rendant le partage d’informations délicat et source d’erreurs.
  • Reconnaissance limitée : Les intervenants à domicile sont rarement conviés à des réunions de coordination, tels les staffs de sortie hospitalière.

Un audit récent de l’ARS Grand Est chiffre à 34 % le taux de réhospitalisation à 30 jours chez les plus de 75 ans, dont une part importante liée à des difficultés de relais au domicile (ARS Grand Est, avril 2023). Redonner toute leur place à ces intervenants permettrait d’améliorer sensiblement la sécurité des parcours.

Comprendre les freins actuels à l’intégration

Des outils numériques encore inadaptés

Si la dématérialisation progresse, la réalité du terrain montre que seuls 27 % des services d’aide et de soins à domicile sont équipés d’outils de coordination interopérables avec les hôpitaux, selon la Drees. Les projets type ViaTrajectoire Grand Âge, encore en phase de déploiement sur notre territoire, peinent à embarquer les structures de petite taille ou isolées.

Une culture de la collaboration à renforcer

  • Difficultés d’identification mutuelle : Beaucoup d’hôpitaux ne disposent pas d’annuaires mis à jour des intervenants à domicile, et inversement.
  • Limites réglementaires : Le secret médical et la protection des données complexifient la circulation d’informations, même avec l’accord du patient.

Des ressources humaines fragilisées

Le secteur du domicile connaît des tensions accrues sur les recrutements. Selon la Fédération Adédom, en 2023 la moitié des SAAD du Grand Est signalent des problèmes d’effectif critique, ce qui alourdit les échanges et fait redouter la surcharge.

Des modèles qui fonctionnent : ce que disent les expériences réussies

L’exemple du territoire de Troyes

Le Dispositif d’Appui à la Coordination (DAC Troyes Argonne) a mis en place des réunions d’anticipation de sorties complexes, associant systématiquement les référents des services d’aide et de soins à domicile. Bilan : en un an, la durée moyenne de séjour a baissé de 1,6 jours sur les patients polymorbides âgés, et la satisfaction des familles a bondi de 30 % (source : Rapport DAC Troyes 2023).

Mobilisation autour des hôpitaux de proximité

L’hôpital de Sedan a expérimenté, en collaboration avec les SSIAD, la présence d’une infirmière référente “passerelle” lors des staffs hebdomadaires de sortie. Ce professionnel assure la fluidité du relayage au domicile et soutient la coordination avec les équipes d’aide humaine. L’expérimentation, publiée dans Le Concours Médical en juin 2023, a permis une réduction de 18 % des hospitalisations évitables durant les trois premiers mois.

Quels leviers pour insérer pleinement les intervenants à domicile dans la coordination ville-hôpital ?

Formaliser la place des intervenants à domicile au sein de l’équipe de coordination

Créer des référents domicile dans chaque établissement de santé permet de disposer de relais identifiés et de mieux intégrer l’expérience terrain des professionnels. Les CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé) du territoire Reims Sud en ont fait une priorité, avec un annuaire partagé et un espace d’échange mensuel ouvert à tous les acteurs du domicile.

  • Organiser des réunions de coordination au moins une fois par mois incluant les SAAD, SSIAD, IDEL, kinés, ergothérapeutes et assistantes sociales de secteur
  • Mettre à disposition un système rapide de transmission des plans de soins, par messagerie sécurisée (MSSanté) ou via une plateforme mutualisée
  • Impliquer systématiquement les référents domicile dans la préparation des sorties hospitalières complexes

Numériser, mais adapter les outils aux réalités locales

Les structures de domicile manquent souvent de solutions informatiques adaptées. Le Conseil Départemental de la Marne a lancé une expérimentation avec la PME Doctolib pour médicaliser la prise de rendez-vous des professionnels à domicile en post-hospitalisation. Les premiers retours mettent en avant un gain de temps de 40 % sur la planification des soins, notamment lors des retours d’AVC ou de fractures du col du fémur.

  • Simplifier l’accès aux outils numériques : formation rapide, interface intuitive, assistance technique locale
  • Numériser mais garder la main sur l’accompagnement humain, avec une hotline ou des facilitatrices numériques
  • Promouvoir l’interopérabilité entre les logiciels hospitaliers (DXCare, Hopital Manager, etc.) et ceux des SAAD/SSIAD

Favoriser les retours d’expérience et la mutualisation

Les dispositifs régionaux de type PAERPA (Parcours Santé des Aînés) montrent l’intérêt d’organiser des groupes de partage de pratiques par territoire. Cela permet de détecter rapidement les points de rupture, de valoriser les initiatives locales (ex : partage du suivi de nutrition ou de détection précoce de la douleur) et de cultiver un climat de confiance.

Prendre appui sur les instances et dispositifs existants

Appui des Dispositifs d’Appui à la Coordination (DAC)

Les DAC jouent un rôle pivot comme soutien organisationnel pour les professionnels du domicile. Selon le dernier rapport de l’ARS Grand Est, sur les 48 situations de dépendance aiguë suivies dans la Marne en 2023, l’intervention du DAC a permis une sortie hospitalière groupée, coordonnée avec l’ensemble des intervenants à domicile, dans 95 % des cas.

  • Inscrire systématiquement les SAAD et SSIAD dans les listes de partenaires du DAC
  • Garantir l’accès aux cellules de coordination d’urgence du DAC pour les intervenants à domicile

S’adosser à l’expertise des ergothérapeutes de secteur

Les ergothérapeutes interviennent en évaluation du domicile mais aussi en anticipation des relais : leur implication précoce dans la coordination ville-hôpital est un facteur clé pour prévenir les retours précipités ou inadaptés (source : ANAS, 2023).

Optimiser la communication et la formation interprofessionnelle

  • Mise en place d’un carnet de liaison partagé, électronique ou papier, incluant l’ensemble des intervenants
  • Séances de formation croisée sur les enjeux gériatriques et la transmission des risques (formation inter-SAAD et IDEL dans les Ardennes, pilotée par la Fédération ADMR : participation en hausse de 45 % en 2023)
  • Ateliers de simulation sur les retours à domicile complexes, associant les familles, proposées dans les hôpitaux locaux – 84 patients et aidants bénéficiaires à Châlons-en-Champagne depuis l’ouverture du dispositif

Et demain ? Vers une intégration de tous les acteurs au service de la fluidité des parcours

L’amélioration de la coordination ville-hôpital autour des personnes âgées ne pourra se faire sans une meilleure reconnaissance et une intégration systématique des intervenants à domicile. Les expériences territoriales, les retours des DAC et l’installation progressive des outils numériques adaptés montrent que des marges de progrès existent, dès lors qu’on investit dans le collectif et la valorisation de chaque métier. Développer des temps d’échanges, accompagner la transformation numérique, garantir la place de tous dans l’équipe de coordination : ce sont les clefs pour répondre à la hauteur des enjeux posés par le vieillissement accéléré de la population.

Pour aller plus loin, des ressources pertinentes sont disponibles auprès de la HAS, de l’ARS Grand Est, du réseau ADMR, ainsi que sur le portail Pour-les-personnes-agees.gouv.fr.

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