Comprendre les obstacles à l’organisation optimale des réseaux gériatriques en Champagne-Ardenne

11/06/2025

Pourquoi la structuration des réseaux gériatriques est-elle un défi ?

Les réseaux gériatriques ont pour ambition de fluidifier les parcours de soins et d’accompagnement autour du grand âge, sur des territoires où la démographie et l’organisation des acteurs imposent des dynamiques complexes. En Champagne-Ardenne, plus de 22 % de la population a plus de 60 ans selon l’INSEE (2021). Malgré des avancées (dispositifs PAERPA, MAIA), de nombreux professionnels constatent des difficultés récurrentes à collaborer efficacement. D’où viennent ces freins ? Pourquoi persistent-ils, malgré les bonnes volontés locales ?

Une coordination rendue difficile par la dispersion des acteurs

Parmi les obstacles les plus fréquemment évoqués, la multiplicité et la dispersion des acteurs locaux arrivent en tête. Sur un territoire comme la Champagne-Ardenne, les structures sanitaires, sociales et médico-sociales sont nombreuses, souvent de taille modeste, avec des organisations internes variées : hôpitaux de proximité, EHPAD, SSIAD, équipes mobiles, associations d’aide à domicile, coordinations locales, centres communaux d’action sociale… Chacun répond avec compétence à une partie des besoins, mais les échanges inter-structures restent trop fréquents portés par des relations personnelles ou informelles.

  • Données éclairantes : Selon une enquête de la Fédération Hospitalière de France (FHF), 38 % des cadres infirmiers évoquent le « morcellement des structures » comme principal frein à la coordination des parcours gériatriques (FHF, Baromètre 2022).
  • Trop souvent, « ce n’est pas le dispositif qui manque, c’est l’information au bon moment chez le bon interlocuteur » constate une responsable de coordination en Meuse interviewée par le Quotidien du Médecin en 2023.
  • Les territoires ruraux, majoritaires en Champagne-Ardenne, accentuent cette difficulté par la distance physique entre les acteurs et les patients.

Cette dispersion explique une grande partie des difficultés : même quand la volonté de coopérer existe, atteindre le bon interlocuteur, comprendre le « qui fait quoi », harmoniser les pratiques (dossiers, outils, protocoles) relèvent d’un parcours du combattant.

La question centrale du financement et de la pérennité

La stabilité financière des réseaux gériatriques et des dispositifs de coordination reste fragile. Les financements sont souvent multiples (ARS, collectivités, assurances maladie, fondations), avec des temporalités courtes et parfois des changements fréquents de règles du jeu.

  • Données locales : Entre 2015 et 2022, 16 réseaux ou structures de coordination dédiés au grand âge ont vu leur enveloppe de fonctionnement diminuer ou stagner en région Grand Est (source : URIOPSS Grand Est, rapport 2023).
  • Les dispositifs expérimentaux (homes labellisés, MAIA, CPTS) pâtissent de modèles de financement qui reposent sur la contractualisation annuelle, engendrant incertitudes et turnover.
  • Le Fonds d’Intervention Régional (FIR) abonde certains projets innovants mais reste difficile d’accès pour les petites structures qui manquent de ressources administratives pour monter les dossiers.

Cette incertitude fragilise la professionnalisation de la fonction de coordination (infirmier·ère coordinateur·rice, case manager, etc.) : les postes à temps plein sont rares, et nombreux sont les professionnels à cumuler plusieurs tâches, au risque de l’épuisement.

Les défis humains : recrutement, formation continue, fidélisation

La pénurie de professionnels qualifiés est un phénomène largement documenté dans le secteur gériatrique : médecins, infirmiers, aides-soignants, coordonnateurs peinent à être recrutés et fidélisés, notamment en zones rurales ou en périphérie de villes moyennes.

  • Chiffre clé : En 2022, selon Pôle Emploi, le taux de difficultés de recrutement est passé à 70 % pour les postes d’infirmier coordinateur en établissement pour personnes âgées en région Grand Est (Pôle Emploi, BMO 2022).
  • Les formations spécifiques à la coordination gériatrique restent peu développées ou peu accessibles, faute de temps et de financements dédiés.
  • L’usure professionnelle est fréquente, notamment chez les coordinateurs « multicasquettes » (ex. : seuls coordonnateurs d’une organisation, également soignants ou encadrants).

Le renouvellement d’équipes apparaît donc comme un enjeu crucial. Les témoignages de terrain soulignent que l’instabilité des équipes peut décourager les initiatives collectives et nuire à la mémoire organisationnelle : les outils ou protocoles communs ne survivent pas toujours aux changements de personnels.

Des outils numériques inégaux et mal articulés

Si le numérique est souvent présenté comme la clé de l’information partagée, sa réalité reste contrastée en Champagne-Ardenne. Plusieurs plateformes coexistent, sans interopérabilité complète : Dossier Médical Partagé (DMP), messageries sécurisées, logiciels métiers des établissements ou services à domicile…

  • Baromètre e-Santé : Seuls 61 % des coordonnateurs interrogés en Grand Est déclarent avoir accès à un outil de partage de dossier commun avec les partenaires locaux (source : Agence Régionale de Santé Grand Est, 2023).
  • Cette situation multiplie les doubles saisies, freine la circulation d’informations actualisées et limite l’efficacité des concertations pluridisciplinaires.
  • Les associations d’aide à domicile consultées par France Alzheimer Champagne dénoncent la fracture numérique pour les intervenants non équipés ou non formés.

Quelques initiatives locales néanmoins prometteuses :

  • Le projet Ségur numérique, qui vise l’unification des outils, commence à produire des effets, mais sa généralisation reste attendue d’ici 2025.
  • Certains territoires (ex. : Communauté professionnelle territoriale de santé de Châlons) ont expérimenté des messageries partagées ou des référentiels de contact en ligne.
  • Des plateformes telles que ViaTrajectoire (pour les admissions en EHPAD) sont de plus en plus utilisées mais restent méconnues de certains acteurs de terrain.

La culture du partenariat : du constat à la pratique

Au-delà des outils et des organisations, c’est bien la culture de la coopération qui fait souvent défaut. Beaucoup d’acteurs identifient la nécessité de « travailler ensemble », mais les modalités concrètes de concertation sont parfois absentes ou ritualisées autour de réunions peu efficaces.

  • Barrières identifiées :
    • Concurrence perçue entre structures, notamment sur les questions de financement ou de visibilité institutionnelle.
    • Difficulté pour les petites associations à « prendre la parole » face à de grands établissements ou à des échelons institutionnels.
    • Absence de « temps dédié » : le temps de coordination est souvent pris sur le temps de soin ou d’accompagnement direct.
  • Les « cafés réseau », les journées interstructures ou les groupes de travail thématiques sont plébiscités là où ils existent, mais leur régularité dépend souvent de la motivation d’une ou de deux personnes-clé.
  • Une étude de l’IREPS Grand Est (2022) indique que seulement 24 % des structures de la région participant à des dispositifs de coordination gériatrique disposent d’un cadre formalisé (charte, convention, référentiel partagé).

Renforcer la confiance, reconnaître les compétences et valoriser le rôle de chacun : tels sont les ressorts identifiés pour faire évoluer la culture réseau.

Des solutions qui émergent… mais à consolider

Face à ces freins, des initiatives voient le jour et méritent d’être généralisées ou renforcées :

  • Mise en place de comités territoriaux de coordination (type CPTS) impliquant plus largement tous les acteurs, quels que soient leur statut et leur taille.
  • Formation croisée : des professionnels de structures différentes participent à des formations communes sur le repérage de la fragilité, la gestion des crises, la connaissance des ressources locales.
  • Soutien à la mutualisation d’outils numériques réellement interopérables.
  • Mobilisation de l’expertise « usager » : davantage d’associations d’usagers ou de représentants de familles participent aux décisions stratégiques de certains réseaux locaux.
  • Expérimentation de financements pluriannuels et d’enveloppes mutualisées pour porter ensemble des actions de prévention ou d’accompagnement.

Pistes pour renouveler l’organisation territoriale

Pour dépasser les obstacles actuels, la Champagne-Ardenne ou tout autre territoire comparable pourrait s’appuyer sur les recommandations suivantes :

  1. Cartographier et rendre visibles les acteurs et ressources locales au-delà des référentiels institutionnels. Un annuaire interactif actualisé, porté par les acteurs du terrain, faciliterait l’orientation et la prise de contact.
  2. Favoriser une gouvernance partagée impliquant institutionnels, associatifs, collectivités et usagers autour d’objectifs communs annuels.
  3. Développer la formation continue à la coordination, intégrant le management d’équipe pluridisciplinaire et l’appropriation des outils numériques.
  4. Stabiliser les financements sur au moins trois ans pour sécuriser les emplois clés et permettre la maturation des projets à moyen terme.
  5. Créer de réelles communautés professionnelles de pratique : espaces hybrides, numériques et physiques, où les échanges informels sont encouragés et valorisés.

Les étapes restent ambitieuses, mais elles s’appuient sur des expériences locales qui montrent que la mobilisation collective profite directement à l’accompagnement des personnes âgées et à la qualité de vie au travail des professionnels.

Vers une dynamique plus lisible, plus efficace, plus humaine

La bonne organisation des réseaux gériatriques ne se décrète pas, elle se construit dans le temps, à partir des réalités du territoire et des besoins des acteurs. Si les freins sont nombreux — dispersion, financements instables, difficultés de recrutement, manque d’outils partagés, barrières culturelles — ils ne sont pas insurmontables. À chaque étape, des exemples locaux prouvent qu’en investissant sur la coopération, la formation et la stabilité, il est possible de franchir de nouveaux paliers vers une coordination plus fluide et plus utile pour le grand âge en Champagne-Ardenne.

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