Filière gériatrique : le médecin traitant au cœur de la coordination ville-hôpital

27/06/2025

Pourquoi la coordination ville-hôpital est-elle une priorité en gériatrie ?

Le vieillissement de la population modifie profondément la demande de soins. Selon l’INSEE, en 2023, la région Grand Est compte 22,2 % de personnes de plus de 65 ans (source : INSEE, 2023), un chiffre en hausse continue. Dans ce contexte, multiplicité des pathologies, complexité des prises en charge et polymédication exposent les personnes âgées à de forts risques lors des transitions entre la ville et l’hôpital :

  • Effets indésirables médicamenteux : 10 % des hospitalisations après 75 ans sont liées à ces problèmes (Assurance Maladie, chiffres 2022).
  • Réadmissions précoces : jusqu’à 20 % des patients âgés ré-hospitalisés dans les 30 jours suivant leur sortie (Haute Autorité de Santé).
  • Retards de prise en charge lors de la survenue d’un nouvel épisode aigu parce que l’information clinique n’a pas bien circulé.

Dans cette chaîne, le médecin traitant reste le plus à même de connaître le patient “globalement”, y compris dans son environnement social et familial, ses habitudes et ses fragilités.

L’expertise du médecin traitant : référent, repère et porte-parole du patient

Le rôle du médecin traitant ne se limite pas à la prescription. Il est :

  • Le détenteur de l’histoire médicale du patient, capable de synthétiser des décennies de données, d’événements cliniques, d’interactions pharmacologiques.
  • Celui qui connaît le contexte de vie, décisif dans tout projet de soins adaptés aux préférences, à la capacité d’autonomie, à l’entourage du patient.
  • Pilote du parcours coordonné, qui dialogue avec les spécialistes, les services hospitaliers, les infirmiers à domicile, les kinésithérapeutes et les aides à domicile, tout en restant le point de repère du patient et de ses proches.

L’HAS rappelle dans son rapport 2019 sur la coordination ville-hôpital que l’expertise du médecin traitant est cruciale pour “éviter l’errance médicale, la iatrogénie, la perte d’informations clés dans un parcours où la fragmentation des interventions est un facteur de risque majeur” (HAS, 2019).

Dans la pratique : quelles responsabilités pour le médecin traitant ?

Les missions du médecin traitant lors d’un passage de relais avec l’hôpital sont multiples. Du point de vue opérationnel, il intervient à plusieurs étapes :

  1. En amont de l’hospitalisation :
    • Organisation du bilan pré-admission (examens, coordination avec les spécialistes),
    • Transmission du dossier médical utile à l’équipe hospitalière,
    • Participation à la préparation des projets de soins anticipés.
  2. Pendant l’hospitalisation :
    • Transmission d’informations complémentaires à la demande du service hospitalier,
    • Participation à d’éventuelles réunions de concertation pluriprofessionnelles pour les cas complexes.
  3. Au moment de la sortie et après :
    • Lecture critique du compte-rendu d’hospitalisation (CRH),
    • Réévaluation de la stratégie thérapeutique à la lumière de modifications de traitements ou diagnostics posés à l’hôpital,
    • Remise en place du suivi, adaptation du domicile si besoin (appui de l’équipe mobile de gériatrie, réseau d’aide à domicile, HAD...),
    • Information et coordination avec les professionnels paramédicaux et les proches.

Une coordination réussie requiert donc anticipation, communication et collaboration, rarement abouties en l’absence d’une culture commune entre ville et hôpital.

Dialoguer et partager l’information : le chantier clé

Les difficultés dans la transmission d’informations entre ville et hôpital sont régulièrement identifiées comme majeures dans la littérature médicale (Santé publique France, 2023) :

  • Le compte-rendu d’hospitalisation n’est remis dans les délais (moins d’une semaine) au médecin traitant que dans 55 % des cas en France (Cour des comptes, rapport 2021).
  • La messagerie sécurisée et le DMP ne sont utilisés que par 35 % des médecins hospitaliers, malgré des efforts répétés pour les déployer (Drees, Panorama 2022).

Les conséquences sont immédiates : répétition d’examens, incompréhensions sur les modifications thérapeutiques, stress des familles, retards d’intervention. Pourtant, certaines initiatives favorisent déjà la fluidité de l’information.

Initiatives locales et outils concrets en Champagne-Ardenne

Dans la région Champagne-Ardenne, plusieurs dynamiques concrètes tendent à renforcer la coordination ville-hôpital, en particulier pour le suivi des personnes âgées :

  • Le Réseau Gérontologique Champagne-Ardenne : il organise régulièrement des staffs communs entre hospitaliers, médecins de ville, infirmiers et travailleurs sociaux, ce qui facilite l’échange de points de vue et la préparation de sorties complexes.
  • L’expérimentation PAERPA (Parcours Santé des Aînés) dans certaines agglomérations de la Marne : elle a permis de généraliser la fiche de liaison, document simple mais déterminant pour structurer le “passeport” d’un patient fragile lors de toute transition (source ARS Grand Est, 2020).
  • La plateforme Terr-eSanté : outil numérique déployé par l’ARS Grand Est et favorisant la centralisation des informations autour du patient, accessible — sur autorisation — au médecin traitant, à l’hôpital, au pharmacien et aux paramédicaux du domicile (source : ARS Grand Est).
  • Les “cellules d’appui à la sortie d’hospitalisation” dans les hôpitaux de Troyes et Reims : elles se mobilisent lors de situations complexes pour organiser à la fois le relais médical, la coordination avec les services à domicile et la continuité thérapeutique.

Chacune de ces initiatives est tributaire de trois ingrédients : implication du médecin traitant dans la discussion, simplicité des outils d’échange, et reconnaissance mutuelle des compétences.

Freins encore rencontrés et leviers d’amélioration

Il existe cependant des obstacles structurels et organisationnels majeurs à la pleine reconnaissance du rôle du médecin traitant dans la coordination :

  • Temps médical non valorisé : la coordination n’est que partiellement rémunérée (forfait médecin traitant), alors qu’elle nécessite des interactions chronophages et peu reconnues administrativement (rapport IGAS, 2021).
  • Lourdeur et variabilité des formats de dossiers médicaux, faute de systèmes d’information interopérables ou de formation homogène à l’échange de données.
  • Manque de visibilité sur les aides disponibles : pour certains médecins de ville, le paysage des ressources extra-hospitalières reste difficile à appréhender sans soutien (exemple : professionnels du réseau, MDPH, services sociaux, etc.).

Pour y remédier, plusieurs recommandations émergent, portées à la fois par les sociétés savantes et les acteurs locaux :

  1. Favoriser le déploiement d’outils numériques ergonomiques et compatibles, comme la généralisation du Dossier Médical Partagé (DMP) ;
  2. Renforcer la formation commune entre ville et hôpital, notamment via les réseaux territoriaux de santé et des journées de simulation interprofessionnelles ;
  3. Mettre en place des relais dédiés (cellules de coordination-gériatres référents) joignables facilement par les médecins traitants ;
  4. Valoriser effectivement le temps médical consacré à la coordination dans la nomenclature des actes.

Qu’attendre de la coordination demain ?

Face à la montée continue du nombre de patients âgés fragiles sur le territoire, repenser les articulations entre la ville et l’hôpital n’est plus un choix, c’est une nécessité. De nombreuses études (notamment celles menées par la Fédération Hospitalière de France et la Cnam) ont démontré que la qualité de la coordination influe directement sur la réduction des inadéquations d’hospitalisation, la limitation du risque iatrogène, et la satisfaction des patients et de leurs familles.

Donner toute leur place aux médecins traitants dans l’organisation territoriale des soins impose de faciliter leur implication pratique, de leur offrir une reconnaissance pleine, et de s’appuyer sur les dynamiques locales qui marchent. La Champagne-Ardenne, avec ses réseaux gériatriques actifs et ses expérimentations innovantes, apparaît comme un terrain fertile pour faire progresser, jour après jour, la qualité du parcours de soins des aînés.

Sources
  • INSEE, Chiffres-clés Grand Est - 2023
  • Assurance Maladie, Bilan Pathologies et Consommations 2022
  • Haute Autorité de Santé, Coordination ville-hôpital - Rapport 2019
  • DREES, Panorama des établissements de santé 2022
  • Cnam, Parcours des patients âgés 2023
  • Cour des comptes, Rapport sur la pertinence et la qualité des soins aux urgences 2021
  • ARS Grand Est, Actions PAERPA et Terr-eSanté
  • IGAS, Coordination des soins : rapport 2021
  • Santé publique France — Dossier "Personnes âgées, continuité des soins", 2023

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